Le changement climatique bouleverse profondément le fonctionnement des rivières. Sur le bassin Adour-Garonne, comme ailleurs, les épisodes de chaleur, les étiages sévères et les assèchements temporaires se multiplient. Pour les agences de l’eau, les services de l’État ou les bureaux d’études spécialisés, disposer d’un suivi thermique des cours d’eau continu et fiable n’est plus un confort scientifique, c’est devenu une condition pour comprendre, prioriser et décider.
Face à ces tensions croissantes sur les milieux, l’Agence de l’Eau Adour-Garonne (AEAG) a fait le choix d’expérimenter un dispositif inédit à l’échelle de son bassin : le déploiement de 145 stations thermiques capables de mesurer en temps réel la température de surface des rivières, en parallèle d’autres paramètres hydrologiques. Avec, en toile de fond, une question centrale pour les politiques de l’eau comme pour les bureaux d’études : que permet réellement le suivi thermique des cours d’eau à grande échelle, et comment l’intégrer aux décisions de terrain ?
Le 17 novembre 2025, un webinaire de restitution coorganisé par l’AEAG et vorteX-io, dans la salle Garonne du siège toulousain de l’agence, est venu apporter d’importants éléments de réponse. Les deux équipes y ont présenté les résultats de ce vaste projet, ont détaillé la manière dont les données sont produites et exploitées, et partagé les premiers enseignements tirés pour la gestion opérationnelle des cours d’eau du bassin. Cet article reprend et met en perspective les principaux messages de cette restitution, afin d’éclairer, au-delà du seul webinaire, les acteurs publics et les professionnels de l’ingénierie de l’eau intéressés par le suivi thermique des cours d’eau.
Un contexte où la température de l’eau devient stratégique
L’enjeu de la thermie pour la qualité des milieux
Dans son introduction au webinaire de restitution, Martine Gaeckler, directrice adjointe de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, rappelle que « la connaissance et la surveillance de la qualité des milieux font partie des missions centrales de l’agence ». Avec le réchauffement climatique, la température n’est plus un simple paramètre complémentaire dans les diagnostics de bassin. Elle devient un indicateur structurant pour comprendre l’évolution du fonctionnement de ces milieux, ainsi que l’évolution de leur qualité.
Le suivi thermique des cours d’eau permet de passer d’une perception fragmentaire, fondée sur quelques campagnes ponctuelles, à une vision dynamique de la thermie : comment la rivière réagit à un épisode caniculaire, comment elle se refroidit la nuit, comment un tronçon se comporte lors d’un étiage sévère. Cette finesse de lecture est indispensable pour adapter les plans de gestion d’étiage, les stratégies de protection des milieux ou encore les actions de renaturation.
Un projet au croisement de la recherche et de l’opérationnel
Comme le rappelle Thibaut Feret, coordonateur de ce projet côté AEAG, l’expérimentation présentée lors du webinaire ne part pas de zéro. Au contraire, elle s’inscrit dans la continuité de plusieurs travaux menés avec des partenaires scientifiques et institutionnels :
- études pour la Calibration/Validation du satellite SWOT (CNES + vorteX-io)
- projet pédagogique de l’AEAG avec le lycée de Muret (Haute-Garonne), le CNES et l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement)
- programme européen WHYLD (2019-2022) dédié à la surveillance des cours d’eau (créé par vorteX-io et cofinancé par l’EIC, Conseil Européen de l’Innovation)
À la suite d’un premier pilote de R&D mené en 2022-2023 avec les stations hydrologiques de vorteX-io, l’Agence de l’Eau Adour-Garonne a souhaité franchir une étape supplémentaire. Il s’agissait de tester sur une période de 18 mois ce réseau de capteurs innovants à grande échelle, sur 150 sites potentiels , afin de produire en continu des mesures, notamment thermiques et d’évaluer la maturité de la mesure de thermie déportée mais aussi de vérifier l’intérêt du dispositif pour le suivi de l’assèchement des cours d’eau intermittents.
Un réseau de 145 stations pour structurer le suivi thermique
Un déploiement opérationnel à l’échelle du bassin
Entre juillet 2024 et octobre 2025, 145 stations vorteX-io ont donc été installées sur des ponts et ouvrages répartis principalement sur les grands axes du bassin Adour-Garonne. Les conseils départementaux ont joué un rôle clé en mettant leurs ouvrages à disposition et en facilitant les autorisations nécessaires au déploiement. Les installations, souvent réalisées par des cordistes, ont été coordonnées par vorteX-io pour limiter les contraintes sur les gestionnaires d’infrastructures.
Le résultat est un réseau de suivi dense, couvrant une grande diversité de contextes hydrologiques avec des rivières de différents types :
- petites et grandes,
- agitées ou beaucoup plus calmes (donc avec de l’eau plus ou moins brassée)
- avec écoulement intermittents ou pas.
Cette diversité est essentielle pour que le suivi thermique des cours d’eau reflète réellement la variété des situations rencontrées sur le bassin.
Comment fonctionne la mesure thermique vorteX-io
La température de surface, ou température de peau
Chaque station est équipée d’un capteur infrarouge qui mesure la température de surface de l’eau, aussi appelée « température de peau ». Il s’agit de la température des tout premiers micromètres de la surface, là où se concentrent les échanges avec l’atmosphère. Cette couche superficielle est particulièrement sensible au rayonnement solaire, à l’évaporation et au vent. Elle peut donc se comporter différemment de la masse d’eau sous-jacente, surtout sur les grandes sections peu brassées.
Concrètement, les stations acquièrent des mesures toutes les heures, 24 heures sur 24. Cette cadence permet de suivre finement les cycles journaliers de réchauffement et de refroidissement des rivières, de capturer les épisodes extrêmes et de mieux comprendre la dynamique thermique des cours d’eau.
L’intérêt de cette approche pour le suivi thermique des cours d’eau est donc double. D’une part, la mesure se fait à distance, sans contact direct avec l’eau, ce qui simplifie l’installation et limite les risques liés aux crues. D’autre part, elle est directement comparable aux mesures d’infrarouge thermique réalisées depuis l’espace, tout en offrant une résolution temporelle bien plus fine grâce à des acquisitions hyperlocales effectuées en continu.
Capteur passif infrarouge
- Capteur infrarouge
- Détection températures entre -40°C et +300°c
- Filtre sur les plages de longueurs d’onde 5,5 µm à 14 µm
- Angle de vue : 55°
- Puissance électrique : 82,5 mW
- Calibration usine
Une comparaison systématique avec des capteurs immergés
Pour apprécier la pertinence de cette température de peau dans le cadre du suivi thermique des cours d’eau, l’AEAG, vorteX-io et la société partenaire Adict Solutions, ont instrumenté 15 sites avec des TinyTags, des capteurs de température immergés à environ 20 cm sous la surface, installés à proximité immédiate des stations. Les séries temporelles obtenues permettent de caractériser les écarts entre température de surface et température en profondeur en fonction du type de cours d’eau et des conditions hydrauliques.
Schéma montrant la différence entre la mesure de température de surface de l’eau par capteur infrarouge et une mesure immergée de référence
Cette démarche de validation s’appuie sur un comité de pilotage associant des experts de la mesure de température de peau et de la télédétection (Magellium, OFB, CNES, IRD…), qui ont contribué à cadrer les protocoles de comparaison et à interpréter les écarts entre température de surface et température immergée.
Sur un cours d’eau bien brassé comme la Leyre à Sabres, les courbes de température de surface et de profondeur se confondent presque.
Série temporelle comparant la température de surface mesurée par station vorteX-io et la température immergée mesurée par TinyTags sur la Leyre à Sabres (Landes, 40)
Sur un tronçon large et peu mélangé comme le Tarn à Courris, les deux signaux peuvent se déphaser et ainsi traduire des inerties thermiques différentes.
Série temporelle de comparaison du suivi thermique (station vorteX-io : température de surface / TinyTags : température immergée) sur le Tarn à Courris (Tarn, 81)
Ces résultats montrent que la température de surface n’est pas une approximation grossière de la température immergée, mais un indicateur à part entière, complémentaire, qui enrichit la compréhension des dynamiques thermiques.
Une infrastructure pensée pour la continuité de service
Disponibilité des données et maintenance du parc
Un suivi thermique ambitieux n’a de valeur que si la donnée est disponible, régulière et exploitable. Sur la période récente analysée, le réseau de stations affiche une disponibilité proche de 95 % sur l’ensemble des types de données collectées. Le délai moyen entre l’acquisition et la mise à disposition dans l’application vorteX-io est de l’ordre de 7 minutes. Pour les utilisateurs, cela revient à disposer en temps réel des informations de thermie, de hauteur, de vitesse et d’images associées à chaque station.
Cette performance s’appuie sur un dispositif de surveillance technique très fin. Chaque station transmet en continu plus de 80 paramètres concernant sa propre santé et la télémétrie, qui permettent de détecter rapidement d’éventuelles anomalies ou dérives. La plus grande partie des interventions est réalisée à distance, via des mises à jour logicielles ou des ajustements de configuration. Les opérations sur site sont réservées aux cas où cela est strictement nécessaire, ce qui rend possible la gestion d’un parc important avec une équipe resserrée.
Une plateforme de données au service des utilisateurs
Les données issues du suivi thermique des cours d’eau sont accessibles via la plateforme en ligne vorteX-io. Les utilisateurs peuvent y consulter les courbes de température de surface, les niveaux d’eau, les vitesses de surface, les images des cours d’eau, ainsi que des données météorologiques issues de sources externes. L’interface permet de naviguer d’une station à l’autre, de zoomer sur des épisodes particuliers, de comparer des périodes, ou d’exporter les séries temporelles pour des analyses plus approfondies.
Une API permet également d’intégrer directement les données dans les outils métiers des agences, des services techniques ou des bureaux d’études. Les séries de température peuvent ainsi alimenter des modèles hydro-écologiques, des observatoires internes, des tableaux de bord réglementaires ou des plateformes de partage interservices.
Ce que révèle le suivi thermique des cours d’eau sur Adour-Garonne
Avec plus d’un million de données thermiques déjà produites, le projet permet de documenter finement la réponse des cours d’eau du bassin Adour-Garonne aux conditions météorologiques et climatiques. Les séries mettent en évidence les pics de chaleur estivaux, leur intensité et leur durée, mais aussi les phases de refroidissement nocturne ou post-événement. Elles permettent de suivre la formation de gradients thermiques entre amont et aval, de visualiser les ruptures à la confluence d’affluents ou encore d’identifier des comportements singuliers sur certains tronçons.
Lors du webinaire, les équipes de l’AEAG et de vorteX-io ont montré comment ce suivi continu révèle parfois des dynamiques contre-intuitives. Certains tronçons se réchauffent très vite mais se refroidissent lentement, certaines confluences présentent des sauts thermiques marqués, et plusieurs cours d’eau intermittents restent thermiquement actifs alors même que l’écoulement visible devient très faible. Pour ces derniers, le suivi thermique des cours d’eau apporte un angle de lecture nouveau en éclairant à la fois les phases d’assèchement, les conditions de reprise d’écoulement et les contraintes thermiques subies par les milieux dans ces périodes critiques.
Pour les agences de l’eau et les services de l’État, ces informations enrichissent les diagnostics de bassin et nourrissent la priorisation des actions à engager sur les axes les plus sensibles. Pour les bureaux d’études, elles constituent un matériau entièrement nouveau pour le calage et la validation de modèles, difficilement accessible avec des dispositifs de mesure plus classiques.
À retenir : les enseignements clés du projet
- La thermie de surface est un indicateur scientifique robuste, complémentaire des mesures immergées.
- Le dispositif vorteX-io vient de prouver qu’il permet d’obtenir une vision temps réel des dynamiques thermiques, quasiment impossible avec des relevés ponctuels.
- L’échelle du déploiement (145 stations) ouvre la voie à des analyses spatiales inédites sur de grands bassins.
- Le dispositif constitue une plateforme opérationnelle de surveillance et d’analyse, directement réutilisable pour la gestion du risque hydrologique, l’étiage ou la qualité des milieux.
- La collaboration AEAG – vorteX-io démontre la pertinence d’allier innovation technologique et besoins opérationnels publics.
Les bénéfices pour…
Les agences de l’eau et services de l’État
Pour une agence de l’eau ou un service de l’État, un réseau de ce type offre à la fois une vision globale et un niveau de détail inédit. La thermie n’est plus une série de points isolés dans le temps et l’espace, mais une trame continue qui vient compléter les autres informations hydrologiques et de qualité. Le suivi thermique des cours d’eau devient un support pour objectiver les tendances, mesurer l’impact d’actions de restauration, documenter les effets d’un changement d’usage ou d’une modification d’ouvrage.
- Accès à une donnée thermique dense, continue, calibrée
- Outil de surveillance multi-paramétrique (quantité + qualité)
- Support aux programmes de connaissance des milieux
- Contribution à la politique nationale de suivi des cours d’eau
Les bureaux d’études
Pour les professionnels de l’ingénierie de l’eau, l’accès à des données thermiques haute fréquence, multi-sites, sur plusieurs années, constitue un levier important pour améliorer le calage des modèles, affiner les scénarios, produire des analyses objectives argumentées. La possibilité d’intégrer ces données par API dans les outils existants simplifie les flux de travail et réduit le temps consacré à la collecte et au pré-traitement.
- Données in situ exploitables dans les modèles hydro-écologiques
- Meilleure compréhension des influences thermiques locales
- Référentiel homogène pour des diagnostics cohérents
- Possibilité de croiser thermie, niveaux, vitesses/débit, météo
Conclusion
Le projet « Thermie AEAG x vorteX-io » marque une étape majeure dans la surveillance hydrologique des cours d’eau en France en démontrant clairement qu’il est possible de passer d’un suivi parcellaire de la thermie des cours d’eau à une approche structurée, continue et opérationnelle, à l’échelle d’un grand bassin.
En combinant un réseau dense de stations de mesure, une caractérisation scientifique rigoureuse de la température de surface et une plateforme logicielle orientée usages, couplée à une API, le projet offre aux acteurs publics et aux ingénieurs d’études un puissant outil pour mieux mesurer, comprendre, anticiper et piloter les dynamiques des hydrosystèmes.
Ce dispositif ouvre ainsi de nouvelles perspectives :
- pour la connaissance hydrologique de la thermie des rivières
- pour la gestion des axes stratégiques à l’échelle des bassins
- pour les politiques publiques de résilience climatique
- pour les d’études techniques nécessitant des données fiables, continues et exploitables
Pour les agences de l’eau, les services de l’État comme pour les bureaux d’études, ce retour d’expérience envoie un message fort. Le suivi thermique des cours d’eau s’affirme comme un pilier incontournable de la connaissance et de l’adaptation au changement climatique. Et l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, vorteX-io et leurs partenaires, viennent de démontrer sans ambiguïté qu’un tel suivi est désormais possible à grande échelle, en continu et en temps réel.
Pour en savoir plus
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Le suivi thermique des cours d’eau consiste à mesurer de manière régulière ou continue la température de l’eau en différents points d’un réseau hydrographique. Avec des stations comme celles de vorteX-io, cette mesure repose sur la température de surface de l’eau, enregistrée par capteur infrarouge, et associée à d’autres paramètres comme la hauteur d’eau, la vitesse de surface ou les conditions météorologiques. L’objectif est de comprendre comment les rivières réagissent aux conditions climatiques, aux pressions locales et aux aménagements.
La température de surface, ou température de peau, correspond aux tout premiers micromètres de la surface de l’eau, très sensibles aux échanges avec l’atmosphère et au rayonnement solaire. La température immergée est mesurée plus en profondeur, par exemple à 20 cm avec un capteur de type TinyTag.
Sur un cours d’eau bien brassé, les deux valeurs peuvent être très proches. Sur des tronçons larges et peu mélangés, elles divergent et traduisent des dynamiques thermiques différentes, ce qui apporte une information complémentaire pour l’analyse scientifique et opérationnelle
Pour les agences de l’eau et les services de l’État, le suivi thermique des cours d’eau permet d’évaluer plus finement l’état écologique des milieux, d’identifier les zones sensibles aux pics thermiques, de suivre l’impact du changement climatique, de prioriser les actions de restauration ou de gestion d’étiage et de documenter les rapports de bassin et les plans d’action. Il offre une base de données solide pour soutenir les décisions publiques et répondre aux exigences réglementaires.
Oui. L’architecture technique développée par vorteX-io est conçue pour être reproduite et adaptée à d’autres territoires. Les agences de l’eau, collectivités, services de l’État ou industriels peuvent définir, avec vorteX-io, un maillage sur mesure pour mettre en place un suivi thermique des cours d’eau pertinent, combinant capteurs in situ, plateforme de données et, si nécessaire, complémentarité avec la télédétection spatiale et d’autres sources d’information.
